Lola Lafon
08/2017, Actes Sud
Le 4 Février 1974, Patricia Hearst, la fille d’un riche magnat de la presse, est enlevée par le groupuscule révolutionnaire SLA (l’Armée symbionaise de libération). Quelques semaines plus tard, la même jeune fille rebaptisée Tania participe à un hold-up avec ses ravisseurs.
A partir de ce fait divers, Lola Lafon nous emmène dans une enquête minutieuse portée par deux femmes fascinées par cette « héroïne ». Gene Neveva, professeure américaine, qui a été chargée par les avocats de la famille Hearst d’établir un dossier pour la défense de Patty lors de son procès. Et Violaine qui ignore tout du dossier et qu’elle prend comme assistante pour relire les articles de presse et écouter les messages que Patricia/Tania adresse à ses parents, pour décrypter cet enlèvement et tenter de répondre à cette question : A-t-elle été manipulée ou a-t-elle agit de son libre arbitre ?
L’histoire de Patricia Hearst est mise en résonance avec celle de Mercy Short et Mary Jamison, kidnappées respectivement en 1690 et 1753 par des tribus indiennes et refusant d’être « libérées » puis de rentrer dans leurs familles d’origine. Ces trois destins montrent une volonté commune de refuser une existence en ligne droite et de choisir leur liberté.
Lola Lafon aime les fictions pour interroger le réel, et ce roman est magnifiquement réussi !
Albane
[…] A l’heure de reprendre ma place d’enfant docile, j’emprunte des chemins cahoteux sur mon vélo, que le sable me contraigne à pédaler fort jusqu’à être hors d’haleine, la quiétude tristement amollie de la maison familiale aux lumières allumées me fait monter les larmes aux yeux, j’écoute sans mot dire mes parents se raconter leur journée au dîner, deux adultes éteints au sourire fatigué. L’esseulement des liens du sang me sidère comme si je venais d’en prendre conscience, je déteste celle qu’on est en train de faire de moi et jusqu’au prénom qu’on m’a donné, j’ai été éduquée à avancer bravement coûte que coûte, une petite soldate qui poursuivra le récit familial sans le questionner, se réjouira d’obtenir ce qu’elle n’a pas vraiment désiré, une place, un emploi, un foyer. Je vomis la prudence de mes parents, cette pleutrerie. Leur bonté parcimonieuse lorsqu’ils donnent une pièce à un SDF, leur résignation amère déguisée en force de caractère lorsqu’ils se vantent : « Moi je ne me fais aucune illusion. » Je ne serai plus celle que j’étais. Je m’en ouvre à Violaine, elle se tait, les yeux brillants, elle m’écoute me débattre sans trouver les cordes qui m’enserrent. Je m’imprègne des mots de Patricia Hearst, voudrais qu’ils me contaminent, je me rêve prête à tous les sacrifices mais les mots et les causes me manquent, elles me semblent démesurées – le génocide au Rwanda, la guerre en Irak – ou trop locales – la fermeture de l’usine de cellulose de pin. L’héroïsme de Tania m’écrase, me renvoie à ma passivité, elle sait viser ses ennemis crânement quand moi je les cherche. Que faut-il détruire, à quoi s’attaquer en premier, comment, avec qui et de quel côté est-on si on n’est pas complètement du sien ? Je ricane des manifestations d’étudiants contre le CIP, des débats de comptoir où chacun récite sa litanie d’indignations avant de sagement réintégrer son quotidien, tout ça ne sert à rien car aucune victoire n’existe si elle est partielle. […]